Les agents n’ont-ils plus de secrets ?

Les agents n’ont-ils plus de secrets ?

Qui ne s’est pas ébahi devant les prouesses de l’agent britannique James Bond 007 grâce à son équipement ultra sophistiqué qui fait pâlir d’envie tous les espions et qui a été mis au point par Q, le chef de la section recherche et développement du MI6 (le renseignement britannique) ?

Oui, mais ce matériel extraordinaire, ne relève pas toujours que de la science-fiction. De la montre intelligente au jet pack, en passant par le GPS, certains sont finalement passés de la fiction à la réalité.

Il est vrai que jusqu’à présent, les systèmes les plus perfectionnés dont disposaient les armées, et en particulier les services de renseignement, n’étaient pas accessibles à tous et restaient très confidentiels pour des raisons évidentes de sûreté et de défense nationale.

Mais voilà que l’agence fédérale du renseignement américain, la CIA, vient de créer le « CIA Labs » !

Ce laboratoire piloté par la CIA et agréé par le Consortium des laboratoires fédéraux, a pour objectif de « rechercher et développer des solutions scientifiques et technologiques » pour appuyer les missions de l’agence.

Les domaines de recherche privilégiés par ce nouveau laboratoire sont, notamment, l’intelligence artificielle (IA), l’informatique quantique, la robotique et la technologie dite des « registres distribués (DLT) », technologie en relation avec les « blockchains » ; le but manifeste de ces études étant de disposer à l’avenir de moyens performants de surveillance et de contrôle des réseaux décentralisés et des cryptomonnaies.

Mais, dans le contexte actuel de « guerre » à la fois sanitaire et économique menée contre le Covid-19 et les efforts considérables de recherche déployés par les laboratoires publics et privés du monde entier pour la mise au point rapide d’un vaccin, il est clair qu’une veille concurrentielle active est indispensable et qu’elle ne peut qu’impliquer aussi les agences de renseignement pour la capture d’informations stratégiques.

Du reste, c’est bien ce que confirme Dawn Meyerriecks (directrice du département sciences et technologies de la CIA) en déclarant récemment : « Des innovations phénoménales sont déjà issues de la CIA et, avec CIA Labs, nous sommes maintenant encore mieux préparés pour optimiser nos investissements dans le développement technologique et scientifique. Dans un environnement sujet à des menaces de tous ordres, CIA Labs nous aidera à protéger notre nation tout en ayant une longueur d’avance sur la concurrence ».

Pour dynamiser leurs efforts de recherche, les ingénieurs du CIA Labs qui développeront de nouvelles technologies seront rémunérés pour leurs inventions via le dépôt de brevets et l’octroi de licences à des tiers dans le cadre de transfert de technologies.

Il est prévu que les primes d’inventions pourront aller jusqu’à 15 % des revenus générés par leurs inventions, dans la limite de 150 000 dollars par an.

En France, depuis sa création en 1961 par le général de Gaulle, la Délégation Générale à l’Armement (DGA) a pour objectif d’assurer le développement d’innovations du meilleur niveau technologique destinées à équiper les armées françaises et les services de renseignement, pour assurer le succès de leurs missions.

En fin d’année 2018, le Ministère de la défense a signé un contrat de services de 3 ans avec la société Starburst Accelerator pour l’installation et le soutien de « l’Innovation Défense Lab ».

Mais, à la différence du « CIA Labs » américain,  « l’Innovation Défense Lab » français est chargé d’identifier les innovations issues du milieu civil qui sont susceptibles de s’appliquer à des usages militaires et d’accélérer leur intégration dans les équipements ou systèmes militaires existants ou les programmes futurs. Lieu d’expérimentation et d’échange, il réunit des techniciens issus de tous les horizons dans un environnement propice à la créativité et au partage de connaissances. Le laboratoire français se pose donc en partenaire des laboratoires civils et non en concurrent de ces derniers et, fort de sa coopération avec « l’Innovation Défense Lab » et grâce à ses compétences techniques et son expertise unique, la DGA n’est donc pas en reste. La DGSE peut donc jouer vraiment le « Bureau des légendes » …

Le régime de la rémunération supplémentaire applicable aux inventions de salariés qui sont agents de l’État et donc au personnel de la DGA est prévu explicitement à l’article R611-1 et suivants du Code de la Propriété intellectuelle.

Or ce régime est plus favorable que celui des inventeurs salariés du secteur privé. Cette différence de traitement a déjà fait l’objet de litiges mais la Cour d’appel de Paris dans un arrêt de 2011, (Pôle 5, 2e ch. 16 décembre 2011) a décidé de ne pas rapprocher les deux régimes. Il ne faut pas douter toutefois que la mixité public/privé du personnel dans « L’Innovation Défense Lab » puisse entraîner à l’avenir un sentiment de frustration…

En définitive, au regard des laboratoires « souverains » comme le « CIA Labs » dont les recherches sont orientées vers la défense et l’armement et qui souhaitent sans doute tirer profit des résultats, la question qui se pose désormais pour la communauté internationale est comment protéger ces solutions technologiques sensibles et éviter qu’elles soient copiées, perfectionnées et utilisées sur certains territoires, peut-être de façon belliqueuse, et sans qu’il soit possible d’agir pour les contrer sur le plan juridique ou judiciaire et empêcher leur prolifération avec les risques que l’on connaît ?…