Les vaccins contre la covid-19 peuvent-ils devenir des biens publics mondiaux ?

Les vaccins contre la covid-19 peuvent-ils devenir des biens publics mondiaux ?

 

Alors que presque 10 % de la population française a reçu au moins une première dose du vaccin contre la COVID-19, se pose le problème de la production et de l’approvisionnement du pays en doses vaccinales. La solution à cela serait une fabrication des vaccins dans d’autres pays, mais pour ce faire les laboratoires Pfizer/BioNTech et Moderna devraient dévoiler leur technologie de mise en œuvre du vaccin. Or, ces vaccins font sans doute déjà l’objet d’une protection par le biais notamment de demandes de brevet. C’est ainsi que plus d’une centaine de philosophes, scientifiques, juristes et politistes dans une tribune au journal Le Monde en date du 11 février 2021 demandent un régime spécial et temporaire pour les droits de Propriété Intellectuelle sur ces vaccins dit à ARN, afin d’en faire des « biens publics mondiaux », accessibles à tous.

Peut-on réellement empêcher les laboratoires Pfizer/BioNTech et Moderna de breveter leurs vaccins pour cause de santé publique ? 

Pour rappel, le brevet est un titre de propriété industrielle accordé à une personne sur une invention de produit ou de procédé utile à la société et lui conférant un monopole d’exploitation durant 20 ans. En plus du brevet, des « Certificats Complémentaires de Protection » ou CCP permettent en outre d’apporter une protection complémentaire au-delà de cette période de 20 ans, pour compenser la durée particulièrement longue et nécessaire liée à l’obtention d’une « Autorisation de Mise sur le Marché » ou AMM, et ainsi obtenir une protection d’une durée supplémentaire maximale de 5 ans à compter de l’expiration du brevet, selon la durée d’obtention de l’AMM.  C’est pour cela que de nombreuses personnes sont en faveur d’une instauration d’un régime spécial libéral et temporaire pour les droits de Propriété Intellectuelle couvrant les vaccins contre la COVID-19, afin de les rendre accessibles à tous. Il s’agirait de « biens publics mondiaux », c’est-à-dire que les vaccins pourront être produits dans tous les laboratoires équipés pour, et que les techniques brevetées, telles que la technologie ARN, soient rendues disponibles aussi librement que l’était le génome du SARS-COV 2 en janvier 2020.[1]

Si rendre les vaccins contre le virus accessible à tous serait le moyen d’accélérer la production et la vaccination, cela ne serait pas en adéquation avec le système mondial de la Propriété Intellectuelle qui tend à récompenser les efforts de R&D par l’octroi d’un monopole d’exploitation à son auteur. En effet, il s’agirait d’une expropriation pure et simple de propriété car le titulaire du brevet se verrait priver de son titre pour cause de santé publique.

De plus, les accords sur les ADPIC, visant à organiser au niveau mondial, la protection des droits de Propriété Intellectuelle, prévoient un mécanisme ayant pour but de forcer le titulaire d’un brevet à concéder par licence un droit d’exploitation sur son invention, en échange d’une redevance.

La Licence d’office est-elle une solution adéquate pour accélérer la production des vaccins ?

En principe, le titulaire d’un brevet peut octroyer librement une licence, c’est-à-dire un contrat par lequel il concède à un tiers un droit d’exploitation sur son invention, en contrepartie d’une redevance.

Par exception, pour cause de santé publique, le titulaire d’un brevet peut se voir contraint de concéder une licence d’office à un tiers qu’il n’a pas choisi. La licence d’office est donc une licence obligatoire prévue par les articles L613-16 et L613-17 du Code de la Propriété Intellectuelle. Ainsi, pour cause de santé publique et dans l’hypothèse où un accord amiable avec le titulaire du brevet s’avère impossible, le ministre de l’économie sur demande du ministre de la santé publique peut soumettre par arrêté le brevet en question au régime de la licence d’office. Ce type de licence serait donc une alternative aux difficultés de production car elle permettrait aux laboratoires français de produire les vaccins directement en France.

Cependant, en pratique, ce mécanisme est très peu usité car il est soumis à plusieurs conditions et sa mise en œuvre est assez longue car il faut se mettre d’accord sur le prix de la licence qui doit être juste. Or, en l’état actuel des choses, il est nécessaire d’agir vite pour stopper la pandémie mondiale. De plus, la France est contre l’utilisation de cet outil, la ministre de la santé Marisol Touraine l’avait qualifié en 2014 « d’arme atomique ». Il y a une volonté de protéger les monopoles, et favoriser la recherche et l’innovation.

S’il est difficile de considérer que les vaccins seraient des « biens publics mondiaux » ou encore que leur technologie pourrait être rendue accessible par licence d’office, il semble possible de parler de « biens communs ».

La notion de « biens communs » est-elle plus en adéquation avec le droit de la Propriété Intellectuelle ?

Depuis le début de la crise sanitaire, plusieurs acteurs tels que des gouvernements, organisations non gouvernementales et sociétés privées ont demandé le partage de la Propriété Intellectuelle liée à la Covid-19. Par exemple, l’organisation mondiale de la santé a crée un « pool » dans le but de mutualiser les moyens d’accès aux technologies du covid-19 qui s’appelle le C-TAP (COVID-19 Technology Access Pool), il couvre les brevets et plus généralement toute la propriété intellectuelle en lien avec le virus.[2]

L’un des principaux éléments sur lesquels le C-TAP repose est l’octroi de licences pour d’éventuels traitements, produits de diagnostic, vaccins ou autres technologies de santé au Medicines Patent Pool[3] (MPP), qui bénéficie du soutien des Nations Unies.

Au niveau européen, un budget de 9,8 milliards d’euros a été débloqué pour rechercher un remède contre le virus. Ceci s’inscrit dans une volonté d’inciter les états à se partager leurs connaissances techniques et technologiques pour trouver ensemble rapidement un vaccin. C’est ainsi que la notion de « biens communs » prend tout son sens car les vaccins seraient le fruit d’une coopération et pas la propriété d’un seul acteur.

Pour le moment, nous ne savons pas si les Laboratoires Pfizer/BioNTech et Moderna ont déposé un brevet sur leur vaccin qui utilise une technologie dite ARN ayant déjà fait l’objet d’un brevet en 2005 par l’université de Pennsylvanie. Ils ont notamment obtenu l’exploitation de ce brevet via une licence moyennant une redevance.

Une demande de brevet est divulguée après un délai de 18 mois à compter du premier dépôt : un éventuel dépôt de demande de brevet qui serait intervenu en mars 2020 par exemple, serait alors connu d’ici septembre 2021. Il serait intéressant à ce moment-là, notamment d’ici la fin de l’année 2021, de voir quelle stratégie sera adoptée pour bénéficier de la technologie brevetée.

N’hésitez pas à nous contacter pour toute question relative à la protection d’une invention : contact@alatis.eu

[1] « Les vaccins contre le SARS-Cov-2 doivent être considérés comme des biens public Mondiaux », Le Monde, 11 février 2021

[2] « Covid-19 : l’espoir d’un ‘monde d’après’ pour la propriété intellectuelle ? », Mathieu Dhenne

[3]  https://medicinespatentpool.org/fr/