Rumeur et désinformation en matière de propriété intellectuelle

rumeur et désinformation en matière de propriété intellectuelle

La demande de brevet internationale WO 2020/060606 : rumeur et désinformation en matière de propriété intellectuelle sur fond de théorie du complot

Dès le début de l’épidémie, aux alentours des mois de Février et Mars 2020 en Europe, on a vu fleurir sur les réseaux sociaux une multitude d’hypothèses qui ont tenté d’expliquer le ou les origines de la situation dans laquelle l’humanité s’est subitement vue plongée. Certains parlaient d’animaux exotiques issus de marchés aux bestiaux, d’autres de laboratoires ultra-sécurisés, alors que d’autres, assez rapidement, ont tenté d’établir des liens pour le moins incongrus et, en reprenant des mécanismes de discours datant d’âges lointains qu’on aurait pourtant cru révolus, se sont empressés d’alerter la population par tous les moyens de communication disponibles au sujet de « découvertes majeures » qu’ils avaient faites et qui, selon eux, « prouvaient indubitablement l’existence d’un vaste complot ». Et parmi ces « découvertes majeures » à partager au plus grand nombre, sans que l’origine de cette rumeur puisse véritablement être établie, certains ont cru malin d’appuyer leurs hypothèses de conspiration sur la demande internationale WO 2020/060606 A1 afin de formuler des raisonnements le plus souvent erronés.

Parmi ces élucubrations, pour que le lecteur comprenne bien l’ampleur du problème, il s’agissait tout de même pour certains de suggérer que cette demande de brevet apporte la preuve indéniable que Microsoft, et donc son propriétaire le plus célèbre que l’on ne nomme plus, avait breveté, de surcroît en urgence, ni plus ni moins la technologie qui permettra de mettre en œuvre l’esclavage de l’humanité (sic)… Pour s’en convaincre, il convenait tout d’abord de relever avec « discernement » le numéro de publication de cette demande et, bien sûr, d’y trouver la présence « évidente » du nombre de la bête… Nous ne nous risquerons ici à aucune explication sur ce numéro, notre intention n’étant nullement de remettre en cause les croyances profondes que chacun est libre d’avoir. En ce qui nous concerne, nous penchons plutôt vers une coïncidence, qui peut se produire dans le contexte d’un processus automatisé de numérotation des demandes publiées sans pour autant impliquer une quelconque signification d’ordre théologique.

En revanche, nous prenons volontiers position sur la première erreur qui a été faite le plus souvent et qui est celle de considérer qu’un brevet et une demande de brevet confèrent les mêmes droits. Nul n’est besoin d’expliquer ici à nos lecteurs habituels pourquoi tel n’est pas le cas. Pour les autres que nous serons heureux de retrouver plus régulièrement, sachez juste qu’une demande de brevet, de surcroit une demande de brevet internationale comme la demande dont on parle, ne confère quasiment aucun droit. En effet, pour que cette demande de brevet internationale confère des droits, en l’occurrence pour qu’elle devienne un brevet, elle doit suivre une multitude de procédures. Et aucune de ces procédures n’assure à priori qu’un brevet sera délivré. En d’autres termes, non, ce document ne prouve pas que Bill Gates détient un brevet sur l’esclavage de l’humanité… Il prouve uniquement que, chez Microsoft, on réfléchit à comment mettre en œuvre une interaction entre des cryptomonnaies et des humains et, par ailleurs, que l’on veut bien savoir aussi, de manière somme toute assez classique pour une entreprise innovante, s’il est possible d’obtenir un brevet qui protégerait une réalisation technique permettant cette interaction. C’est tout. Ni plus, ni moins.

De plus, une autre erreur qui a été maintes fois constatée est celle qui a consisté à confondre les concepts de date de dépôt, de date de publication et d’ignorer la notion de droit de priorité. Pour faire court, non, la demande n’a pas été déposée au tout début de l’épidémie en Mars 2020. Elle a été publiée à cette date mais elle a été déposée le 20/06/2019, soit bien avant les premiers signes connus de l’épidémie en Chine. De plus, la demande a été déposée sous priorité d’une demande américaine qui, elle, a été déposée le 21/09/2018, soit environ un an et demi avant les premiers signes connus de l’épidémie en Chine. Et, comme on le sait, le contenu technique d’une demande prioritaire et celui d’une demande ultérieure qui en revendique la priorité sont censés être identiques. De facto, Microsoft pensait déjà au sujet mentionné ci-dessus fin 2018. CQFD !

Et, pour les plus courageux, allez lire la demande, notamment la description détaillée. Réfléchissez à l’étendue de la protection. Quel est ce « sensor » dont on parle au paragraphe [0026] ? Un vaccin à nanotechnologies ou une montre connectée ? Et, surtout, posez-vous la question : Microsoft obtiendra-t-elle finalement un brevet sur un tel contenu technique ? De notre côté, pour répondre à cette question, il nous semble pour l’heure urgent de ne plus alimenter les théories les plus farfelues et d’attendre plutôt les rapports de recherche qui seront émis dans chacune des juridictions devant lesquelles cette demande de brevet sera présentée. C’est seulement sur la base de ces éléments que nous pourrons estimer les chances de Microsoft d’obtenir des brevets et, si nécessaire, que nous pourrons envisager ensuite les possibilités qui existeront pour contourner une protection qui sera au  final sans aucun doute bien éloignée de ce que l’on aura pu s’imaginer.

Thomas Rossier – European Patent Attorney

Source : Espacenet.com