Les créateurs de mode à l’épreuve de la « Fast Fashion »
Plusieurs grandes enseignes de prêt-à-porter telles que ZARA, Mango ou encore H&M sont devenues des leaders de la « Fast Fashion ». Il s’agit d’une tendance très répandue dans l’industrie de la mode reposant sur un renouvellement rapide des collections.[1] Les titulaires de ces marques ont pour principale source d’inspiration les collections de grands créateurs de mode. Ce mouvement dit de « Fast Fashion » s’avère être un vrai fléau pour ces derniers qui sont victimes de la copie de leurs créations par les adeptes de cette tendance.
Cette nouvelle tendance invite à s’interroger sur les moyens de défense qui s’offrent aux créateurs de mode lésés. Comment peuvent-ils utilement agir en invoquant leur droit de propriété intellectuelle (DPI) ?
Protection des créations de mode par le droit d’auteur : la copie est-elle licite ?
Au sens de l’alinéa 4 de l’article L112-2 du code de la propriété intellectuelle, les créations de mode sont protégées par le droit d’auteur si elles répondent aux critères posés par la loi et notamment à celui d’originalité.
L’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle disposant que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous », offre donc aux titulaires de créations de mode une première protection sur le plan juridique pour faire face à la concurrence.
Cependant, dans le monde de la mode, le droit d’auteur est de plus en plus pillé, car la copie est devenue une norme, notamment grâce à l’essor d’internet, où il est fréquent que des designers voient leurs créations copiées.
Lors d’une exposition au Musée du Louvre en 1973, intitulée « Copies, Répliques, Pastiches », la notion de copie a été définie comme « une reproduction fidèle, exécutée sans intention frauduleuse » et difficile à déterminer dans le milieu artistique, car elle est souvent à la frontière de la contrefaçon.[2]
En théorie, selon les termes de l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’œuvre préexistante étant protégée dès sa création, il est interdit de procéder à sa copie sans l’autorisation de son titulaire. Il est à noter que la copie privée est une exception au droit d’auteur, toutefois, les créations de mode sont des œuvres diffusées lors de défilés de mode, et leur reproduction et imitation au titre de la copie, ayant forcément lieu auprès d’un public ne peuvent rentrer dans le champ de cette exception.
En pratique, nous constatons toutefois, que dans le monde de la mode, la copie et l’imitation apparaissent comme tolérées, au motif qu’elles s’inscrivent dans une tendance à suivre. De grands créateurs dont notamment Coco CHANEL, considéraient que la copie était une forme de succès et qu’il n’y avait pas de succès sans la copie et l’imitation, et que cette dernière pouvait être considérée comme un hommage à un créateur. En réalité, la copie est un désavantage considérable pour les créateurs moins ou peu connus qui ne peuvent pas à l’instar des grandes maisons s’engager dans des procédures judiciaires longues et coûteuses sur le fondement de leur droit d’auteur.
En outre, le droit d’auteur semble précaire pour protéger les créations de mode, car l’œuvre pour bénéficier d’une telle protection doit être originale. Or, la mode s’inspire sans cesse de tendances et de styles vestimentaires passés, appartenant au domaine public. Il apparaît donc de ce fait subtile d’obtenir une protection sur le fondement de ce droit de propriété intellectuelle, car une création déjà divulguée en l’absence d’originalité ne peut pas être protégée par le droit d’auteur. De plus, la propriété intellectuelle ne protège pas ce qui se rapporte à une idée, un genre. En conséquence, une tendance à la mode ne peut pas être protégée par le droit d’auteur.[3]
Si le droit d’auteur paraît précaire pour protéger les créations de mode, il existe la protection par le droit des dessins ou modèles.
Le droit des dessins ou modèles : une protection plus adaptée aux créations de mode ?
Conformément à l’article L511-2 du code de la propriété intellectuelle, afin d’être protégée par le droit des dessins ou modèles pendant une période consécutive de 25 ans, renouvelable tous les 5 ans, une création de mode doit être nouvelle et présenter un caractère propre. En outre, d’après l’article L511-3 du code de la propriété intellectuelle un dessin ou modèle est considéré comme nouveau, si à la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants. Pourtant, la jurisprudence française et européenne, refuse de reconnaître une contrefaçon de dessins ou modèles si un créateur de mode s’appuie sur l’art antérieur pour le revisiter sous forme d’interprétation, d’adaptation ou de « mixing ».[4]
Nous constatons, que même si le droit des dessins ou modèles est un droit plus sécurisant pour un créateur de mode notamment du fait de l’enregistrement, il présente les mêmes problématiques que le droit d’auteur. Effectivement, dans l’industrie de la mode, les créations sont souvent très inspirées des modes et des tendances passées, remettant en cause les critères d’originalité et de nouveauté imposés par le droit de la propriété intellectuelle.
Ainsi, les géants du « Fast Fashion » tels que ZARA, Mango, ou encore H&M sont fréquemment accusés de copier les œuvres des autres marques. Cela a un impact sur les marques de luxe en raison de la capacité de production de ces enseignes qui peuvent produire en quelques semaines un produit similaire voir identique à l’œuvre d’origine, et à un prix défiant toute concurrence.
ZARA copie les géants du luxe
L’enseigne ZARA s’inspire régulièrement des modèles de grandes maisons de luxe, sans que ces derniers n’engagent d’actions en justice, sûrement car comme le disait Coco CHANEL, la copie est le succès, ainsi qu’un hommage aux grands créateurs.
C’est le cas par exemple des sandales « Oran » d’Hermès, du sac matelassé « Chain Cassette » de Bottega Veneta ou des escarpins « Begum » d’Amina Muaddi.
Ces exemples démontrent que les copies sont extrêmement bien faites et peuvent porter à confusion, en l’absence de comparaison des prix. Toutefois, ces créateurs lésés ne semblent pas avoir intenté d’actions en justice à l’encontre de l’enseigne ZARA.
A l’inverse des maisons de luxe, de petits créateurs n’ont pas hésité à s’attaquer au géant de la Fast Fashion comme c’est le cas de l’enseigne danoise Rains.
Litige opposant ZARA à l’enseigne danoise Rains
L’enseigne danoise Rains spécialisée dans les vêtements de pluie, avait déposé plainte en 2016, devant la cour danoise du commerce, contre le groupe Inditex, titulaire de la marque ZARA, pour violation de leurs droits d’auteur. En effet, l’enseigne ZARA avait commercialisé un modèle de parkas vertes qui ressemblaient fortement à deux modèles iconiques de la marque Rains : le Long Jacket et le Parka Coat.
En mai 2020, la justice danoise a reconnu le groupe ZARA coupable de la violation des droits d’auteur portant sur les deux modèles précités.
Ainsi, l’industrie de la mode est très propice à la copie et à l’imitation.
Si effectivement, une idée, un concept ou une tendance n’est pas protégeable par le droit de la propriété intellectuelle, les créateurs de mode doivent faire face à la concurrence des enseignes de Fast Fashion, qui parviennent à reproduire à moindre coût des œuvres originelles.
Pour une autre approche portant sur les créations dans la mode, nous vous reportons à un article précédent intitulé « L’appropriation culturelle et la propriété intellectuelle dans le monde de la mode », mettant en avant l’appropriation culturelle par certains géants du luxe et de la mode sur des motifs appartenant aux peuples autochtones.
Pour toutes questions liées aux créations de mode ou plus largement à la propriété́ intellectuelle en général, vous pouvez nous contacter à l’adresse suivante : contact@alatis.eu
[1] https://www.oxfamfrance.org/agir-oxfam/fast-fashion-et-slow-fashion-impacts-definitions/?gclid=Cj0KCQjwt-6LBhDlARIsAIPRQcKyy7v3tUrN_E8vbhh3co8VgZRKXZq8JUU62ERS6dRS_F78u8IUwZMaAvIYEALw_wcB
[2] Le Monde, Edwin Juno-Delgado, « Le droit se révèle un défi majeur pour les jeunes designers de mode »
[3] La copie d’un article de mode peut-elle devenir licite ? Réflexions sur les liens entre innovation et droits de propriété intellectuelle-Etude par Marie MALAURIE-VIGNAL, Propriété industrielle n°7, Juillet 2017, étude 19
[4] La copie d’un article de mode peut-elle devenir licite ? Réflexions sur les liens entre innovation et droits de propriété intellectuelle-Etude par Marie MALAURIE-VIGNAL, Propriété industrielle n°7, Juillet 2017, étude 19