La reconnaissance des intelligences artificielles comme titulaires de droits de propriété intellectuelle
Qui doit être considéré comme l’inventeur du produit d’une intelligence ou encore peut-on s’attribuer les droits d’auteur d’une œuvre produite par une intelligence artificielle (IA) ? Ces questions souvent posées par l’actualité sont sur les tables d’organisations compétentes de divers pays. Celle d’Afrique du Sud s’est par exemple démarquée en délivrant en octobre 2021 le premier brevet au monde à la société DABUS, mentionnant une intelligence artificielle comme inventeur.
Les différents droits de Propriété intellectuelle n’ont pas le même degré d’objectivité. Certains sont très objectifs, comme le droit des marques qui demande que la marque distingue des produits, ou encore le droit des brevets où la principale condition est la nouveauté. En revanche, d’autres droits sont plus subjectifs, comme le droit d’auteur qui s’attache à l’empreinte de la personnalité du créateur.
L’intelligence artificielle bénéficie de compétences objectives, ce qui la rend relativement compatibles avec droits auxquels sont attachés les mêmes objectifs, mais la rend moins aisé avec les droits empreints d’une plus grande subjectivité.
Une difficile protection des brevets crées par les IA
Tous les offices de Propriété intellectuelle n’ont pas la même position. Si l’office africain et australien ont accepté la protection, l’Office européen (OEB), américain (USPTO) ou encore du Royaume-Uni (UK-IPO) l’ont refusé. L’OEB a par ailleurs refusé de reconnaitre la protection accordée par l’Afrique, causant certains conflits juridiques. Si l’on peut estimer que les décisions en faveur accordés par les offices africain et australien relèvent surtout d’une décision politique et commerciale, l’OEB refuse surtout cette protection dans la lignée de ses autres décisions, comme celles du 27 janvier 2020 . En effet, elle se fonde sur les articles 81 et 19R de la Convention sur les Brevets Européens (CBE).
L’article 81 exige que la demande des brevets donne l’identité de l’inventeur, là où l’article 19R précise que cette désignation doit comporter le nom, le prénom et l’adresse de l’inventeur. L’OEB estime ainsi qu’au sens de la convention, l’inventeur est nécessairement une personne physique, ce qui écarte la protection d’une invention d’une IA. C’est une motivation équivalente à celle retenue par l’office américain (USPTO).
C’est donc un obstacle qui semble assez simple à dépasser dans la mesure où une simple modification du texte permettrait d’accorder la titularité à une IA. Ce sont plutôt certaines conditions de validité du brevet qui posent problème.
A titre d’exemple, c’est l’homme du métier, ce standard de référence consistant en une personne apte à comprendre l’invention sans être un expert, qui pourrait faire obstacle.
Admettre la protection reviendra à remettre en cause l’équilibre de ce qui est où n’est pas brevetable. Par ailleurs, la prise en compte de l’homme du métier assisté par l’IA nécessiterai alors une augmentation des standards habituels pour qu’une invention soit brevetable.
Malgré donc l’aspect objectif du brevet, il est donc difficilement envisageable d’accorder la titularité de la protection à lune IA. C’est donc une tout autre paire de manches pour ce qui est des droits subjectifs tels que le droit d’auteur.
L’incompatibilité entre le droit d’auteur et les IA
Le droit d’auteur est considéré en France comme « romantique » car celui-ci s’attache à l’originalité soit la personnalité de l’auteur et la création comme œuvre de l’esprit. Cependant, il ne faut pas nier l’aspect économique que celui-ci revêt dans la mesure où il sert à valoriser un effort créatif. Le risque reste que si l’on envisage une telle méthode pour l’ensemble du droit d’auteur de manière à valoriser un investissement, on bouleverse tout l’équilibre sur lequel repose la matière.
Les intelligences sont en mesure de rédiger des articles de presse, d’effectuer des photographies de manière autonome, et de manière plus surprenante des créations graphiques, des jeux vidéo, ou encore des œuvres littéraires telles que des romans ou des scénarios, des créations musicales…
On peut arriver à certains cas où il est difficile de distinguer si l’IA ou une personne l’a réalisé. En revanche pour les autres œuvres plus substantielles, la nature artificielle de l’auteur se devine aisément. Ainsi, l’équivalent de la SACEM au Luxembourg admet l’enregistrement de chansons entièrement composées par l’IA.
Le problème demeure que si le droit d’auteur n’est pas reconnu, alors leur exploitation est libre de droit. Ce sont alors les conditions d’accès du droit d’auteur qu’il faut regarder, soit plus particulièrement l’existence d’une œuvre de l’esprit et l’originalité de l’œuvre.
Pour cette première, si l’utilisation d’une machine ne pose pas de problèmes, celle de l’IA si. En effet, la machine se contente d’aider me créateur là où l’IA réalise l’œuvre de manière autonome. On peut donc se demander si c’est une œuvre de l’esprit qui émane de cette entité dépourvue d’esprit.
L’article 111-1 du Code la propriété intellectuelle dispose que : « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
Contrairement à l’originalité, l’œuvre de l’esprit est bien dans les textes mais elle n’est pas plus définie par le législateur. Les auteurs de doctrine définissent généralement l’œuvre de l’esprit comme émanant de l’esprit humain ou de l’activité humaine. C’est par exemple ce qui a fait que le selfie du singe « Naruto » n’a pas été considéré comme une œuvre de l’esprit.
L’IA découle d’une activité humaine supérieure, que ce soit lors de sa création ou même lors de son fonctionnement, en fixant des critères à respecter dans la création de l’œuvre par exemple.
Vraisemblablement, on est certains qu’une œuvre réalisée de manière totalement autonome, voire indépendante d’une personne humaine ne peut pas être qualifiée d’œuvre de l’esprit. Ce n’est pas pour autant que toutes les créations assistées par un outil technologique sont nécessairement exclues de la qualification d’œuvre de l’esprit (ex : usage d’un appareil photo, œuvres réalisées au moyen de logiciel).
Il faut donc identifier une intervention humaine suffisamment caractérisée pour que la qualification d’œuvre de l’esprit puisse être retenue. Il faut analyser plus précisément le processus créatif.
Dans un second temps, la notion d’originalité pose aussi un problème dans la mesure où d’un côté, si l’on envisage l’originalité comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur, c’est une condition beaucoup trop suggestive. D’un autre côté, c’est une condition relativement malléable, dépourvue de fondement textuel ce qui autorise les juges à en retenir une lecture objective mais qui ne colle cependant pas avec le cas particulier de l’IA.
Si cela présente néanmoins comme risque une éventuelle dénaturation du droit d’auteur, notamment de trop le rapprocher du droit de propriété industrielle, il n’y a pas d’obstacle légal à ce que les juges retiennent une nouvelle définition incluant les IA, découlant d’une volonté d’assurer un retour sur investissement des IA, soit par le droit d’auteur, soit par la création d’un droit sui generis, soit un droit spécialement conçu pour les IA qui s’approcherai alors du droit d’auteur.
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[1] Deux décisions de l’OEB en date du 27 janvier 2020 (19-275163 et 18-275174)
[2] Convention sur le Brevet Européen du 5 octobre 1973 (CBE)
[3] Cour de Justice de l’Union Européenne, arrêt Infopaq, 16 juillet 2009
Sources : https://ipkitten.blogspot.com/2022/07/artificial-intelligence-is-not-breaking.html
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