Parfum et senteurs : la difficile protection des marques olfactives
Guerlain, Lancôme, Rochas ou même la société de saveurs et senteurs Firmenich, toutes ces sociétés parfument le monde et sont à l’origine des fragrances les plus emblématiques.
On peut alors se demander si les droits de la propriété intellectuelle permet la protection d’une odeur. Pendant des années, et ce malgré un fort désir de la part des parfumeurs, le juge européen s’est toujours refusé, à de rares exceptions près, à octroyer une protection aux odeurs.
Si la protection par le droit d’auteur a toujours été refusée par la jurisprudence, cette dernière considérant qu’il ne s’agissait que d’un savoir-faire et non d’un œuvre de l’esprit, le droit des marques permet cette protection. Cependant, la protection d’une odeur n’est en pas chose aisée en pratique. Zoom sur les diverses évolutions en la matière.
Un ancien critère objectif rendant impossible la représentation graphique d’une odeur
L’article 4 du Règlement de 2009[1] avait été transposé en droit français par l’article L711-1 (ancien) du Code de la propriété intellectuelle[2]. Il disposait que la marque devait être un signe « susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale ».
Aujourd’hui remplacée par le « Paquet Marques » composé du Règlement du 14 juin 2017 [3]et la Directive du 16 décembre 2015[4], cette condition posait une certaine difficulté en ce qui concerne les marques olfactives.
En effet, si elles ne se sont pas prohibées, il demeurait relativement compliqué d’établir une représentation graphique de la marque. La quasi-totalité des entreprises qui ont essayé n’ont pas vu leur marque maintenue.
C’est notamment le cas dans l’arrêt de principe Sieckmann[5] rendu par la Cour de Justice des Communauté Européenne (aujourd’hui Cour de Justice de l’Union Européenne – CJUE). Cette décision était très importante dans la mesure où elle excluait tous signes « ne pouvant faire l’objet d’une représentation graphique, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective ».
En l’espèce, il était ici question d’une formule chimique accompagnée d’une description au moyen de mots écrits, complété par le dépôt d’un échantillon d’une odeur ou par la combinaison de ces éléments. L’aspect trop subjectif de la représentation, même avec une formule chimique, a emporté la nullité de la marque. M. Sieckmann avait alors tenté de décrire l’odeur d’une fraise par la tournure suivante : « balsamique fruitée avec une légère note de cannelle».
Cette décision avait par ailleurs été confirmée dans une affaire Eden SARL / OHMI du Tribunal de première instance des communautés européennes en date du 27 octobre 2005[6] où la description « odeur de fraise mûre » accompagnée d’une photo de fraise mure n’a pas suffi au maintien de la marque.
D’autres marques olfactives avaient néanmoins été retenues, dont par exemple :
- « Une fragrance florale rappelant la rose »[7] pour des pneus reconnue par l’Intellectual Office Proprety au Royaume-Uni (UKIPO).
- « Une forte odeur de bière amère »[8] pour des fléchettes également reconnue par l’Intellectual Office Proprety au Royaume-Uni (UKIPO).
- « L’odeur de d’herbe fraichement coupée »[9] pour des balles de tennis reconnue par l’Office pour l’Harmonisation du Marché Intérieur (OHMI), aujourd’hui Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (dit « EUIPO »).
Un nouveau critère subjectif : la représentation de la marque par description et échantillon
Le « Paquet Marques », composé du Règlement n° 2017/1001 du 14 juin 2017[10] et la Directive n°2015/2436 du 16 décembre 2015[11] a modifié notamment l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle[12]. Plus concrètement, cette modification a supprimé l’exigence de représentation graphique des marques, ouvrant ainsi une protection par le droit des marques basée sur la description.
Ce système qui fait appel à l’ensemble de nos sens : la vue, mais aussi l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. La représentation devient donc aisée et perceptible avec un échantillon de l’odeur et sa description graphique, soit une notion plus subjective.
Si les premiers signes sont plutôt encourageants, le nouvel article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle issu de cette transposition précise néanmoins que la représentation doit permettre « à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire ». Ce n’est donc pas sans risque que cette réforme ouvre la possibilité de la représentation de la marque olfactive.
En effet, l’exigence de distinctivité de la marque, l’une des conditions de fond pour que la marque soit constituée, peut ne pas être remplie dans l’hypothèse où l’odeur est parfois liée au produit. Il subsiste alors un risque que l’on ne puisse pas distinguer l’odeur d’un produit à celle d’un autre produit de même catégorie (par exemple pour le cas d’une odeur de bougie).
De même, une odeur est donc définie de façon subjective ce qui pose également un risque de confusion entre les produits s’ils sont décrits de manière trop générale. La marque olfactive risque donc d’être annulée si elle est trop peu décrite ou que les termes demeurent trop généraux.
Enfin, il est également exigé qu’une marque ne soit pas descriptive. Par exemple, une entreprise vendant des clés ne peut pas créer un produit et y apposer la marque nominative « clé ». Cette interdiction permet d’éviter que des signes trop généraux ferment l’entrée aux marchés à de potentiels concurrents. Pour la marque olfactive, cette condition perdure.
Le déposant devra redoubler de vigilance en s’abstenant de déposer une marque totalement descriptive du produit et laisser la description de la marque en amont.
En conclusion, si la réforme du « Paquet marques » rend la protection d’une fragrance plus représentable en vue du dépôt d’une marque, ce dépôt doit être effectué avec grand soin afin de préserver le monopole et l’identité acquise par chaque dépositaire.
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[1] Article 4 du Règlement 207/2009 du 26 février 2009
[2] Article L711-1 (ancien) du Code de la propriété intellectuelle
[3] Règlement n° 2017/1001 du 14 juin 2017
[4] Directive n°2015/2436 du 16 décembre 2015
[5] CJCE, Sieckmann, 12 décembre 2002, C273/00
[6] Tribunal de première instance des communautés européennes (troisième chambre), 27 octobre 2005, Eden SARL / OHMI (affaire T‑305/04)
[7] Unicorn products, GB2000234
[8] Sumitomo rubber co, GB2001416
[9] Décision de la chambre des reccours de l’OHMI, 10 février 1999
[10] Règlement n° 2017/1001 du 14 juin 2017