Quand la politique française s’inspire des codes NETFLIX
Le 1er septembre 2021, « les Jeunes Avec Macron », un mouvement politique de jeunesse de La République En Marche diffusait sur internet une affiche de soutien au président Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle de 2022. Cette affiche au slogan « Macron président des jeunes » n’est pas sans rappeler les codes de la célèbre plateforme de streaming connue sous le nom de NETFLIX.
Un mouvement politique est-il légitime à diffuser une telle affiche ? L’hypothétique atteinte aux droits des tiers constitue-t-elle un risque ? Quels sont ces droits ?
Une affiche aux allures d’une série NETFLIX : reproduction d’un droit d’auteur ?
Pour promouvoir ses services, le groupe NETFLIX utilise une charte graphique originale notamment en termes de couleurs, polices ou encore typographies. Le groupe NETFLIX pourrait se prévaloir d’un droit d’auteur sur cette charte graphique.
Si nous analysons l’affiche du mouvement « les Jeunes Avec Macron » on peut y voir le chef de l’État, Emmanuel Macron, de profil avec le slogan suivant : « Macron président des jeunes, vivement qu’on signe pour cinq saisons de plus ». Ce dernier, est notamment inscrit en lettres capitales blanches et rouges. La dernière partie du slogan, en évoquant par un jeu de mots un nouveau quinquennat, fait directement référence à une série. En bas à gauche du visuel, nous pouvons apercevoir « avril 2022 », l’échéance correspondant à la date de l’élection présidentielle, ainsi que le nom « MACRON » reprenant le caractère, la couleur et la police des visuels NETFLIX. En bas à droite, est indiqué le sigle « les jam » signifiant « les Jeunes Avec Macron ». L’ensemble de l’affiche reprend les codes de communication du groupe NETFLIX.
Or, en application de l’article L111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. »
Le droit d’auteur étant définit par la loi comme un droit de propriété exclusif, sa reproduction sans l’autorisation de son titulaire constitue un délit de contrefaçon comme le prévoit l’article L335-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, sauf à ce que des accords contractuels aient été passés entre les parties.
Outre une potentielle action sur le fondement du droit d’auteur, il convient d’analyser si l’utilisation du terme « MACRON » dans le graphisme proposé par l’affiche pourrait être une imitation de la marque NETFLIX.
La présentation du terme « Macron » imitation de la marque « NETFLIX » ?
En bas à gauche de l’affiche, nous pouvons apercevoir le terme « MACRON », inscrit en rouge et reprenant la même police et la même calligraphie que la marque NETFLIX[1]. Le groupe NETFLIX pourrait-il agir en contrefaçon contre l’association « les Jeunes Avec Macron » pour imitation de sa marque ?
Le droit des marques a vocation à s’appliquer lorsque la marque est utilisée dans la vie des affaires. Cette notion de « vie des affaires » a été définie par la jurisprudence et notamment par la cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) qui considère que l’expression « usage dans la vie des affaires implique que les droits exclusifs conférés par une marque ne peuvent en principe être invoqués par le titulaire de cette marque que dans le contexte d’une activité commerciale ».[2] L’article L713-2 du code de la propriété intellectuelle sanctionnant la contrefaçon a donc lieu de s’appliquer lorsque la marque antérieure lésée est utilisée dans la « vie des affaires ».
Cependant, l’association « les Jeunes Avec Macron » n’exerce pas une activité à but lucratif, l’imitation de la marque antérieure NETFLIX ne semble pas réalisée dans un cadre de vie des affaires, le droit des marques paraît donc impuissant. Si l’application du droit de la propriété intellectuelle semble restreinte, le groupe NETFLIX pourrait-il se fonder sur le parasitisme ou les agissements parasitaires ?
Le groupe NETFLIX pourrait-il se fonder sur le parasitisme ou les agissements parasitaires ?
Le parasitisme a été défini par la cour de cassation comme « l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.»[3]
Les agissements parasitaires sont une notion qui a été définie par la doctrine et permet de sanctionner « quiconque usurpe sensiblement une valeur économique d’autrui, même non concurrent, réduisant ainsi ses investissements matériels et intellectuels, gagnant du temps, évitant de prendre des risques. »[4]
Le parasitisme tout comme les agissements parasitaires sont donc des pratiques consistant à vouloir profiter volontairement et de manière injustifiée des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individuelle en générant un avantage concurrentiel ou du moins une image positive au bénéfice de la personne faisant preuve de parasitisme ou d’agissements parasitaires. Même si la caractérisation d’agissements parasitaires ne requiert pas une situation de concurrence directe entre deux agents économiques, il s’agit d’une pratique supposant que le parasite et le parasité exercent une activité économique.
En l’espèce, l’affiche a été diffusée par l’association « les Jeunes Avec Macron » (JAM), qui conformément à la loi de 1901 n’agit pas dans un but lucratif et n’exerce donc pas d’activité économique générant des bénéfices. Il apparaîtrait donc compliqué pour le groupe NETFLIX de se fonder sur l’article 1240 du Code Civil sanctionnant le parasitisme et les agissements parasitaires sur le fondement de la responsabilité civile, car le mouvement politique n’exerçant pas une activité économique, il n’avait pas pour objectif de tirer profit d’un point de vue économique des investissements et efforts intellectuels du groupe NETFLIX.
Cependant, si le groupe NETFLIX venait à considérer cette affiche comme une atteinte à son image et à un ternissement de sa réputation pourrait-il se fonder sur la loi du 29 juillet 1881 sanctionnant les actes de diffamation ?
L’hypothèse d’une action en diffamation pour l’atteinte à la réputation du groupe NETFLIX
La diffamation se définit comme « une allégation ou imputation d’un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale, d’un corps constitué ou d’une collectivité. » et est sanctionnée sur le fondement de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. La jurisprudence reconnaît une telle atteinte lorsque des propos négatifs de nature à porter préjudice à l’honneur et la réputation d’une personne physique ou morale ont été prononcés à son égard. Or, en l’espèce, l’association « les Jeunes Avec Macron » n’utilise pas dans son affiche des propos diffamatoires à l’égard du groupe NETFLIX, mais se contente de reprendre les codes NETFLIX en les parodiant.
Les chances de succès d’une action en diffamation semblent également faibles car la jurisprudence ne reconnaît pas de manière générale la diffamation par association à une activité ou à un groupement.
Ainsi, depuis le 10 septembre 2021, 50 000 exemplaires de l’affiche de campagne sont diffusés dans toute la France, sans que le groupe NETFLIX n’ait communiqué pour le moment sur cette affiche, ni mis en demeure le mouvement « les Jeunes Avec Macron » de cesser la diffusion du visuel.
Il est à noter que d’autres mouvements politiques comme « Le Rassemblement National » ou encore les « Jeunes Insoumis » de façon plus ironique, ont également repris des codes de NETFLIX dans leur communication. Le groupe NETFLIX interrogé sur ces sujets ne semble pas, jusqu’à présent, avoir apporté de réponse officielle.
Il est entendu que les propos de cet article ne sont que des réflexions juridiques soulevées par l’utilisation des codes NETFLIX eu égards aux seuls éléments publics dont nous avons connaissances.
En conclusion, l’existence d’un droit a pour corollaire le droit d’interdire, notamment lorsque son usage a lieu dans la « vie des affaires ». Il est donc indispensable avant le lancement de tout projet d’identifier les droits qui peuvent appartenir à des tiers, puis de se demander si son propre projet y porte atteinte.
[1] Marque n°1235989, enregistrée le 15 septembre 2014 pour des produits et services en classe 9,38 et 41 (source : https://data.inpi.fr/marques/WO1235989?q=NETFLIX#WO1235989)
[2] Arrêt de la CJUE du 30 avril 2020, affaire C-772/18
[3] Cour de cassation, Chambre Commerciale, du 26 janvier 1999, 96-22.457
[4] LE TOURNEAU Philippe, Le Parasitisme, p19