Une société en cours de formation peut-elle contractualiser, et comment ?
Le dépôt d’une demande de brevet ou d’une marque en vue d’une présentation imminente d’un produit sur un salon ou bien à des fournisseurs, la négociation d’un contrat important avec des partenaires stratégiques, la création d’une filiale accompagnée d’une concession de licence pour valoriser une activité : toutes ces situations sont souvent effectuées dans l’urgence, qui plus est lorsque l’activité d’une société est encore à ses prémices, ce qui est le quotidien de nombreuses start-up.
Rappelons ici à titre liminaire que l’article 1842 alinéa 1 du code civil dispose que : « Les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation ».
L’article L. 210-6 du code de commerce complète cette information et dispose que : « Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. La transformation régulière d’une société n’entraîne pas la création d’une personne morale nouvelle. Il en est de même de la prorogation.
Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société. »
Il ressort de ces deux articles que la société en cours de formation n’a pas encore acquis la personnalité morale et ne peut donc pas contractualiser en son nom. Comme l’a déjà rappelé à plusieurs reprises la Cour de Cassation, un contrat conclu par une société avant son immatriculation au RCS est frappé de nullité absolue en vertu des articles précités.
La conséquence directe de cette nullité absolue est qu’un contrat conclu par une société avant son immatriculation ne peut pas faire l’objet d’une confirmation postérieure, une fois la société enregistrée.
C’est ce que vient de rappeler sans équivoque la Cour de Cassation dans son arrêt du 26 septembre 2018 (Com. 26 sept. 2018, F-P+B, n° 16-25.937) rendu sur renvoi après cassation.
Dans cette affaire, le contrat litigieux était un contrat d’exploitation entre la société N., titulaire d’un brevet européen, et la société N. France, en cours de formation à la date de conclusion du contrat, dont la recevabilité de l’action en contrefaçon sur le fondement de l’article L. 615-2 du code de la propriété́ intellectuelle, était contestée. S’agissant d’une société en cours de formation, c’est donc à juste titre que le contrat d’exploitation a été annulé.
La question pendante était alors de savoir si l’acte nul pouvait ou non être rétroactivement confirmé, ce à quoi la Cours de Cassation a répondu par la négative : « Mais attendu que l’acte nul de nullité́ absolue ne pouvant être rétroactivement confirmé, les parties désirant, après la disparition de la cause de cette nullité́, contracter, sont tenues, lorsque la validité́ de leur convention est soumise à̀ des formes prévues par la loi, de conclure un nouveau contrat, dans les formes ainsi requises, qui produit ses effets à compter de sa formation ; que le moyen, qui postule le contraire, n’est pas fondé. »
Nos recommandations pour garantir la sécurité des actes effectués par une société en cours de formation est donc d’agir au nom de l’un ou plusieurs des futurs représentants légaux, en leur nom personnel, puis de procéder ultérieurement à une transmission des actes à la société, après que la société en question ait été régulièrement immatriculée. Ceci est vrai qu’il s’agisse d’un contrat, d’un accord de confidentialité (NDA), d’une licence, d’un dépôt d’une demande de brevet ou du dépôt d’une marque.
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François Legrand, Mandataire agréé auprès de l’Office européen des brevets – francois.legrand@alatis.eu