Un « super droit d’auteur » pour les immeubles des domaines nationaux
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Le régime antérieur
Jusqu’en 2016, la question des droits protégeant les monuments était simple. C’est le droit d’auteur qui protège les créations architecturales. Il est limité dans le temps : si le monument a été créé par un architecte mort depuis plus de 70 ans, les droits immatériels attachés à ce monument peuvent être librement exploités (images utilisées pour des cartes postales, pour des campagnes publicitaires, des films…). Dans le cas contraire, une autorisation doit être demandée au titulaire des droits avant d’exploiter l’image du monument.
En pratique : le Château de Versailles n’est plus protégé, le Centre Pompidou est encore protégé, la Tour Eiffel n’est plus protégée, mais la Tour Eiffel éclairée de nuit l’est ! Cette dernière solution s’explique car, si la Tour Eiffel est bien tombée dans le domaine public depuis 1993 (Gustave Eiffel étant mort en 1923), ses éclairages de nuit sont bien plus récents et relèvent encore du droit d’auteur.
Cette limitation de la protection dans le temps est l’essence même de la propriété intellectuelle qui cherche à trouver un équilibre entre la protection des titulaires de droit qui encourage la création, et la liberté d’expression qui favorise l’accès du public aux œuvres. Une fois le délai de protection écoulé, les droits immatériels portant sur la création tombent dans le domaine public et peuvent être librement exploités.
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L’avènement d’un « super droit d’auteur », illimité dans le temps
La Loi Création introduit une nouvelle protection qui chamboule la logique classique prévalant en droit de la propriété intellectuelle.
Dès 2015, la Cour administrative d’appel de Nantes a décidé que le brasseur Kronembourg devait obtenir l’autorisation du gestionnaire du Château de Chambord pour utiliser l’image de ce monument dans sa publicité. Pour la Cour, « dès lors que les prises de vue d’un bien du domaine public sont réalisées dans un but commercial ou qu’il s’agit de les utiliser à des fins publicitaires, l’autorisation préalable du gestionnaire du bien s’impose ». Une telle solution a été particulièrement critiquée dans la mesure où, si elle sert les intérêts économiques du gestionnaire (donc de l’Etat), elle ne repose sur aucun fondement juridique solide (plus aucun droit d’auteur ne protégeant le Château de Chambord depuis bien longtemps).
La Loi Création de 2016 a officiellement introduit cette création jurisprudentielle dans le Code du Patrimoine. Afin qu’il ne soit pas porté atteinte à l’image des « immeubles du domaine national présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation », leur gestionnaire doit autoriser et éventuellement soumettre à une redevance leur utilisation à des fins commerciales. Une série de dérogations dispensent l’exploitant d’une telle autorisation, lorsqu’il utilise l’image dans le cadre de « missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité́ ».
Le Conseil constitutionnel a été saisi de cette disposition dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Les requérants faisaient notamment valoir que l’exclusivité octroyée devait nécessairement être limitée dans le temps, au même titre que n’importe quel droit de propriété intellectuelle. De plus, la nouvelle règle violerait la liberté d’entreprendre de ceux qui cherchent à commercialiser ces images. Enfin, le fait que la redevance soit fixée discrétionnairement par le gestionnaire de l’immeuble risquerait de rompre l’égalité des citoyens devant la loi.
Le 2 février 2018, le Conseil a balayé ces arguments et affirmé la constitutionnalité de la disposition. Pour les sages de la rue Montpensier, elle ne présente pas de difficulté puisque des dérogations sont prévues et que le pouvoir du gestionnaire est encadré. En effet, il ne peut refuser d’octroyer l’autorisation que si l’utilisation envisagée est une atteinte à l’image du bien et doit fixer le montant de la redevance en fonction des avantages de toute nature procurés par l’exploitation de l’image du bien.
Quant à l’absence de limitation dans le temps de la protection, le Conseil n’en fait pas mention. Comment sera faite la distinction entre les immeubles du domaine national qui relèvent du « super droit d’auteur » et ceux qui ne seront protégés que par un droit limité dans le temps ? L’articulation de cette protection avec le droit d’auteur classique sera très probablement source de conflits.
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Le critère de l’exploitation commerciale
Cette nouvelle disposition pose une autre question complexe relative à son interprétation : où se situe la frontière entre une exploitation commerciale et non-commerciale ? Concernant la publication sur un blog personnel par exemple, ces pages incluent la plupart du temps des bannières publicitaires finançant l’hébergement du site. Quant aux autres sites comme Facebook, ils autorisent le plus souvent la réutilisation des contenus à des fins commerciales. Il n’est donc pas certain qu’il y ait encore sur internet des espaces non-commerciaux. Dès lors, publier des photos sur un site qui en retirera des bénéfices, est-ce faire un usage commercial des images ?
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