L’appropriation culturelle et la propriété intellectuelle dans le monde de la mode
Le Mexique continue sa lutte contre l’appropriation culturelle par les géants du luxe et de la mode sur certains graphismes appartenant aux peuples autochtones. Les marques Zara, Anthropologie et Patowl sont la nouvelle cible du gouvernement mexicain. Cette notion d’appropriation culturelle est mal définie et les peuples lésés par cette pratique ne sont pas correctement protégés par le droit international de la propriété intellectuelle. C’est pour cela que l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) tente d’établir une réglementation pour contrecarrer l’appropriation culturelle.
Qu’est-ce que l’appropriation culturelle ?
L’appropriation culturelle se définit comme l’acte par lequel une personne issue d’une culture relativement dominante s’empare d’une expression culturelle traditionnelle pour l’adapter à une autre culture dans un contexte différent sans autorisation ni mention de la source ou rémunération d’une façon qui porte préjudice aux détenteurs de l’expression culturelle traditionnelle en question.[1]
Le conflit opposant les marques ZARA, Antropologie et Patowl au gouvernement mexicain
Fin mai 2021, le secrétariat mexicain à la culture a demandé aux marques qu’elles expliquent dans un communiqué public sur quel fondement elles se sont basées pour privatiser une propriété collective appartenant à divers peuples autochtones, et comment elles allaient les indemniser.
En novembre 2020, c’est la créatrice française Isabel Marrant qui fût l’objet de plaintes de la part du ministère de la culture mexicaine l’obligeant à stopper la commercialisation de vêtements ornés de motifs traditionnels de peuples indigènes mexicains.
Les dirigeants mexicains veulent modifier leur loi sur le droit d’auteur qui protège déjà les savoir-faire traditionnels, afin de punir le plagiat dont différents peuples autochtones ont souffert. Toutefois, cette loi n’aurait d’effets que sur le territoire mexicain, car de portée locale elle ne pourra pas s’imposer aux autres états. C’est pour cela que l’OMPI essaye depuis 2019 d’établir une réglementation visant à sanctionner l’appropriation culturelle qui est un véritable fléau pour les peuples concernés.
La problématique
Nous savons que le domaine du luxe et de la mode est très friand d’appropriation culturelle, ce qui fait l’objet de vives critiques par les pays concernés. Par exemple, en 2017, la marque CHANEL a été accusée d’appropriation culturelle après avoir fabriqué et commercialisé un boomerang siglé de l’artisanat des cultures aborigènes d’Australie vendu au prix de 2000 euros.
Vous l’aurez compris, ce qui est généralement reproché à ces marques c’est l’absence d’indemnisation des peuples à l’origine des créations alors qu’elles vendent leurs produits à des prix exorbitants.
Une réglementation pour le moment absente
Le droit international de la propriété intellectuelle exclut pour le moment la protection des expressions culturelles traditionnelles, car elles appartiennent au domaine public. Cela signifie qu’il s’agit d’un bien qui appartient à tout le monde et disponible pour tous ; aucun droit de propriété ne pouvant être revendiqué.
Au sens de l’article 31 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le droit international pourrait être adapté pour donner la possibilité aux peuples autochtones d’exercer leurs droits sur leurs expressions culturelles traditionnelles. Le comité intergouvernemental de l’OMPI négocie depuis 2019 un instrument juridique international ayant pour but de protéger les expressions culturelles traditionnelles par un droit de la propriété intellectuelle.
Le droit des dessins et modèles ne semblerait pas adéquate, car il protège l’aspect esthétique ou ornemental d’un produit, c’est-à-dire son apparence et non pas la manière dont il fonctionne. Par conséquent, les dessins & modèles traditionnels sont parfois inspirés d’expressions culturelles traditionnelles, et s’ils se contentent de copier une expression culturelle traditionnelle telle qu’un motif, ils ne rempliront pas le critère de nouveauté ou d’originalité et tout tiers pourra s’opposer à leurs enregistrements. En l’espèce, les motifs des peuples autochtones lésés appartiennent au domaine public et n’ont pas été protégés au niveau mondial dès leur création par un droit de propriété intellectuelle, une protection par le droit des dessins & modèles est donc peu probable.
Au contraire, une reconnaissance d’un droit d’auteur à ces expressions culturelles traditionnelles serait un choix plus judicieux de protection et c’est notamment la solution envisagée par l’OMPI. En effet, le droit d’auteur est composé d’un droit patrimonial et d’un droit moral qui permettent à tout auteur d’interdire aux personnes physiques ou morales la copie et la divulgation de leurs œuvres au public sans leurs autorisations. Ainsi, les peuples autochtones grâce au droit d’auteur qui ne requière aucun enregistrement, pourraient dès lors que leurs créations sont originales, empêcher tout tiers de les utiliser sans leur consentement ce qui permettrait de redonner aux peuples autochtones le pouvoir sur leurs créations et se battre à arme égale avec les géants de la mode.
Si pour le moment l’appropriation culturelle n’est pas sanctionnée au titre du droit de la propriété intellectuelle et qu’il est donc encore possible de s’inspirer de motifs de certains peuples, il se pourrait que dans quelques années cette pratique soit sanctionnée au même titre que la contrefaçon.
[1] OMPI Magazine : « La propriété intellectuelle au service de la lutte contre l’appropriation culturelle dans le secteur de la mode »