L’utilisation de son nom de famille en tant que marque

L’utilisation de son nom de famille en tant que marque

« De Renault à Yves Saint Laurent en passant par Franck Provost, nombreux sont les exemples de noms patronymiques devenues des marques à la renommée mondiale. »

Mû par différents intérêts, il peut apparaître attrayant de vouloir déposer votre marque en utilisant votre nom de famille. Il est toutefois important, et c’est la visée de ces lignes, de bien connaître les conditions d’emploi de son nom de famille dans la vie des affaires mais également les manières de le protéger.

Pouvez-vous déposer votre nom de famille en tant que marque ?

Toute marque doit répondre aux conditions de validité prévues dans la législation et le nom de famille plus formellement employé sous la formule de nom patronymique n’est pas une exception.

La marque en vertu de l’article L.711-1 du Code de la Propriété Intellectuelle doit être « un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales. ». Si la rédaction de cet article ne comprend pas l’énumération des signes possible, la pratique confirmée par la jurisprudence accueille favorablement l’utilisation du nom patronymique à titre de marque.

Une marque, afin d’être valablement enregistrée, doit répondre aux conditions fixées par l’article L.711-2 du Code de la Propriété Intellectuelle.

On y trouve notamment l’exigence de distinctivité, impliquant que la marque soit singulière et facilement identifiable pour un consommateur, toujours en référence à la catégorie de produits ou services dans laquelle elle est déposée. Une marque ne protège son titulaire que pour les produits et services désignés lors du dépôt.

Cette condition de distinctivité implique alors que le nom patronymique déposé en tant que marque ne renvoie pas à une caractéristique du produit ou service vendu, ou à un terme usuel utilisé pour désigner le produit. Afin d’illustrer cette condition, une personne telle que Mr. Assiette ne pourrait vraisemblablement pas déposer une marque en employant son patronyme pour une activité de vente de vaisselle sans contrevenir à cette obligation de distinctivité.

La marque doit également ne pas être déceptive ou trompeuse. Elle ne doit pas aller à l’encontre de l’ordre public et des bonnes mœurs et si ces éléments ne sont pas à ignorer, il semble peu probable qu’un nom patronymique contrevienne à ces principes et qu’il prive un individu du droit d’utiliser son nom de famille comme nom de marque.

Enfin, la marque pour être déposée, doit répondre au principe de disponibilité, et donc ne pas porter atteinte à des droits antérieurs.

Déposer une marque en utilisant son nom patronymique est donc possible, sous réserve de respecter les conditions classiques imposées à tout déposant de marque et notamment la disponibilité, qui, il sera question de le voir, est le point qui entraine le plus de contentieux et de questions auxquelles nous allons essayer d’apporter le plus efficacement possible des réponses.

Pouvez-vous déposer une marque à votre nom si une marque a déjà été déposée ?

Étant admis de principe que le droit de marque est un droit exclusif de propriété, l’obtention de la marque permet d’empêcher, en principe, tout individu voulant l’employer dans la vie des affaires pour les mêmes produits et services.

Toutefois, le nom de famille est, en premier lieu, un droit imprescriptible et inaliénable, et la Cour de cassation prise d’affaires relatives à l’emploi du nom patronymique dans la vie des affaires a eu l’occasion de le rappeler1.

C’est en vertu de ce principe qu’un équilibre entre les droits en concurrence a été apporté par le législateur dans l’article L.713-6 du Code de la Propriété Intellectuelle, permettant qu’un tiers personne physique puisse employer son patronyme dans la vie des affaires même en présence d’un dépôt de marque antérieur, mais ce, à condition de prouver « la bonne foi et la réalité de la prise de fonctions dans l’entreprise et l’exercice de missions de contrôle ou de direction », précautions prises afin de pallier d’éventuelles opérations de prête-noms2.

Il ne vous est donc pas possible de déposer une marque à votre nom si elle contrevient à des droits de propriété intellectuelle antérieurs mais l’emploi de votre patronyme dans la vie des affaires est envisageable dans de telles circonstances, et conditionné à l’exercice effectif de missions de direction et de contrôle dans l’entreprise porteuse du nom.

Pouvez-vous vous opposer à l’emploi de votre nom pour un dépôt de marque ?

Qu’elles soient personnelles ou commerciales, nombreuses sont les raisons qui peuvent vous amener à vouloir vous opposer à l’emploi de votre nom en tant que marque, car il se pourrait, par exemple, qu’une enseigne utilise votre nom pour son nouveau produit phare commercialisé pour les Jeux Olympiques 2024. Quels sont vos alors droits ?

Si dans l’article L.711-3 8° du Code de Propriété Intellectuelle il est prévu que le dépôt d’une marque ne peut porter atteinte aux droits antérieurs d’un tiers et notamment au nom patronymique, la jurisprudence s’est attelée à nuancer cette interdiction absolue, imposant au propriétaire du nom patronymique « la justification de l’existence d’une confusion à laquelle il a intérêt à mettre fin » 3.

Ce sera donc au propriétaire du nom patronymique d’alléguer d’un véritable risque de confusion entre son nom et l’activité de l’entreprise exploitant la marque. Les exemples de jurisprudence n’ont pas manqué en la matière et la matérialisation de cette confusion est désormais prise en compte par les tribunaux dans le cas de noms célèbres ou rares4.

On comprend que cette protection soit limitée à ces cas car l’utilisation du nom peut porter préjudice à son propriétaire, devenant associé à une marque dont il ne partage peut-être pas les valeurs mais également semer la confusion dans l’esprit des consommateurs pouvant croire associé un auteur célèbre ou sa descendance à un programme commercial, avec toujours à l’esprit la crainte que soient réalisés des bénéfices indus par une société profitant de la notoriété d’un personnage célèbre.

S’il n’est donc pas impossible dans la théorie de s’opposer à l’emploi de son nom pour le dépôt d’une marque par un tiers, la pratique a montré que les conditions jurisprudentielles rendent difficile l’opposition à une telle procédure et arguer d’un risque de confusion est souvent relié à l’emploi d’un nom célèbre et rare, et malheureusement, ne peut être Gustave Eiffel qui veut !5.

Quels sont les risques liés à l’utilisation de votre nom patronymique dans la vie des affaires ?

Comme expliqué ci-dessus, le droit au nom est un droit inaliénable et imprescriptible. La Cour a scindé par un arrêt de principe6 la propriété de ce droit en deux parties : la première partie, incessible, intangible, correspond à la vision commune du nom, à savoir le moyen d’identification de la personne, son état-civil. Cet arrêt de 1985 marque un tournant en ce qu’il donne la possibilité au propriétaire du nom de conclure un accord d’utilisation de son nom comme dénomination sociale ou nom commercial pour lui conférer dans son unique dimension commerciale, un droit patrimonial, cessible.

Cela implique inévitablement que lorsque cette dimension patrimoniale du droit au nom est cédée et que les intérêts du porteur du nom et les autres associés viennent à diverger, la séparation porte son lot de problèmes pour le propriétaire du nom souhaitant profiter de la notoriété acquise par sa marque homonyme.

Cette problématique a connu son exemple dans l’affaire Inès de la Fressange. Cette dernière avait cédé à la société ORCOFI diverses marques portant son nom. Elle a par la suite été licenciée par cette même société, laquelle souhaitait conserver en vertu de la jurisprudence Bordas évoquée ci-dessus, la propriété des marques précédemment cédées.

La Cour de cassation7 n’a pas accueilli les prétentions d’Inès de la Fressange et l’a déclaré irrecevable à déposséder le cessionnaire des marques, sans même se prononcer sur le caractère potentiellement trompeur de la marque à l’appui de sa demande, impliquant donc l’impossibilité pour celle-ci d’employer son nom patronymique dans la vie des affaires sans contrevenir à l’obligation de bonne foi évoquée précédemment.

Cet exemple est révélateur de l’importance de délimiter précisément l’étendue et les conditions d’un contrat de cession ou de licence d’actifs intellectuels, mission qu’il est préférable de confier à des professionnels du secteur afin d’échapper le plus efficacement possible à tout contentieux coûteux et long.

 

Vous souhaitez protéger un droit de Propriété Intellectuelle ? Nos conseils et avocats sont à votre disposition pour vous renseigner et vous accompagner dans vos démarches. N’hésitez pas à nous contacter à l’adresse suivante : contact@alatis.eu

Sources :

  1. Arrêt « Bordas », Chambre commerciale de la Cour de cassation, 12 mars 1985 n°84-17.163
  2. Arrêt « Henriot », Cour d’appel de Paris, 2 juin 2010 n°08/20561
  3. Arrêt « Badoit », Première Chambre Civile de la Cour de cassation, 13 février 1967
  4. Arrêt « Luynes », Cour d’appel de Paris, 24 janvier 1962
  5. Arrêt « Eiffel », Cour d’appel de Bordeaux, 16 mai 2011 n°10/00889
  6. Arrêt « Bordas », Chambre commerciale de la Cour de cassation, 12 mars 1985 n°84-17.163
  7. Arrêt « Inès de la Fressange », Chambre Commerciale, 31 janvier 2006 n°05-10116