CHEVAL BLANC : Prescription de l’action en déceptivité et réparation de la contrefaçon de marque vitivinicole
Le parcours judiciaire vieux de près de dix ans des propriétaires du domaine « Château Cheval Blanc » vient de s’achever avec l’arrêt de la Cour de cassation du 8 juin 2017 et permet de revenir sur la notion de déceptivité et sur la réparation du préjudice de contrefaçon de marque dans le domaine vitivinicole.
La marque vinicole désigne des vins et est régie par les règles du droit des marques tout en étant soumise aux règlementations des appellations d’origine et sur l’étiquetage.
La marque est un signe distinctif, c’est la perception immédiate de l’activité économique de l’entreprise. Elle peut prendre plusieurs formes, les plus communes étant la forme verbale (mot) et/ou figurative. Le principe essentiel à sa protection repose sur le critère de distinctivité : la marque doit permettre de distinguer tel produit ou service qu’elle désigne, de ceux des concurrents. La marque doit également être licite (respecter les bonnes mœurs et l’ordre public), et ne pas être déceptive. Une marque déceptive est de nature à induire le public ou le consommateur en erreur sur la nature, la qualité, l’origine du produit et ne pourra en aucun cas être adoptée (art. L711-3 c) du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI)). L’appréciation du caractère déceptif d’une marque revient aux juges du fond qui vérifient si le consommateur d’attention moyenne risque d’être trompé sur le produit et/ou le service qu’elle désigne.
En l’espèce, la société Château Cheval Blanc est propriétaire de la marque semi-figurative « Cheval Blanc » déposée en 1933 et depuis régulièrement renouvelée pour désigner des vins.
Château Cheval Blanc assigne en 2008 la société viticole Chaussié de Cheval Blanc et son propriétaire en annulation pour déceptivité de deux marques désignant des vins : la marque verbale « Domaine du Cheval blanc » et la marque figurative représentant une tête de cheval harnachée déposées respectivement en 1973 et en 2003, ainsi que de la dénomination sociale de la société « Chaussié de Cheval Blanc » et à titre subsidiaire pour contrefaçon par imitation de sa marque.
La société Chaussié de Cheval Blanc quant à elle, justifie de ce choix de marque par l’exploitation de 11,60 hectares de parcelles inscrites au cadastre sous le toponyme Cheval Blanc.
La Cour d’appel de Bordeaux déclare irrecevable, car prescrite, la demande en annulation de la société Cheval Blanc sur le fondement de la déceptivité et écarte ses demandes de dommages-intérêts et de publication parce qu’elle n’a pas démontré un préjudice spécifique. Cheval Blanc forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel.
La Cour de cassation devait donc trancher si l’action en nullité engagée par Cheval Blanc était prescrite, et quelle réparation Cheval Blanc pouvait obtenir pour le préjudice de contrefaçon subi.
1. Sur la prescription de l’action en nullité d’une marque déceptive
La demanderesse, Cheval Blanc, a développé ses demandes en estimant que le consommateur pourrait confondre son grand cru Cheval-Blanc (500 euros la bouteille) avec le vin du domaine du Cheval-Blanc (7 euros la bouteille) et donc être trompé par cette seconde marque en le portant à croire qu’il s’agirait d’un second vin du vin premier grand cru classé A « Cheval Blanc ». En outre, d’après la demanderesse, la déceptivité de la marque verbale « Domaine du Cheval blanc » et de sa marque figurative associée ne peut être purgée ni par le temps, ni par l’usage et a pour conséquence de rendre l’action en annulation imprescriptible.
Mais la Cour de cassation considère que le fait que le vice de déceptivité, dont une marque est entachée, ne puisse être purgé ni par l’usage, ni par le temps n’est pas de nature à rendre imprescriptible l’action en nullité de la marque fondée sur ce vice et n’a pas pour effet de suspendre le délai de prescription tant que la marque demeure inscrite au registre national des marques. La Cour de cassation confirme ainsi la prescription de la demande en nullité des marques, la société Cheval Blanc ayant trop tardé à agir.
A noter que depuis la réforme de la prescription en matière de civile, la prescription est désormais quinquennale (Loi n°208-561 du 17 juin 2008) et non plus trentenaire.
2. Sur la contrefaçon
La forclusion par tolérance
L’action en contrefaçon des marques dont l’usage a été toléré pendant cinq ans encourt quant à elle l’irrecevabilité pour forclusion par tolérance (art. L.716-5 CPI).
La Cour de cassation rappelle cependant que la forclusion par tolérance ne s’applique pas dans une action en contrefaçon de marque dirigée contre une dénomination sociale, en l’espèce, la dénomination Chaussié du Cheval Blanc. Le grief de contrefaçon pouvait prospérer à l’encontre de cette dénomination sociale.
Le risque de confusion
La Cour d’appel de Bordeaux avait tenu compte de la notoriété de la marque et du cru CHEVAL BLANC, et jugée le patronyme « Chaussié » comme insuffisant pour écarter la confusion, alors même qu’un grand nombre de toponymes avec adjonction d’un nom patronymique coexistent sur le terroir bordelais.
Il est donc retenu l’existence d’un risque de confusion pour un consommateur amené à penser qu’« en achetant un vin portant la dénomination sociale EARL CHAUSSIÉ DE CHEVAL BLANC qu’il s’agit d’un vin ayant une relation directe avec la production prestigieuse de la société civile CHATEAU CHEVAL BLANC ».
3. Sur la réparation du préjudice subi pour contrefaçon de marque
La contrefaçon de marque est nécessairement préjudiciable au propriétaire de la marque contrefaite. Cependant, la seule démonstration d’actes de contrefaçons, comme en l’espèce, ne suffit pas pour obtenir des dommages et intérêts car l’étendue du préjudice allégué doit être démontrée par celui qui l’invoque.
La Cour de cassation rappelle d’une part le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour aucune des parties et d’autre part que la détermination des dommages et intérêts en réparation du préjudice de contrefaçon de marque repose sur l’appréciation souveraine des juges du fond.
Dans le cadre de ce pouvoir souverain, la Cour d’appel de Bordeaux estime que l’interdiction faite sous astreinte d’employer le vocable « Cheval Blanc » dans la dénomination sociale d’une société, sous quelque forme et en quelque lieu que ce soit suffit « à assurer la réparation intégrale du préjudice résultant de la contrefaçon de marque subi » par son titulaire qui n’a par ailleurs justifié aucun préjudice spécifique.
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