Doit-on tout divulguer dans un brevet ? Quelle limite entre le brevet et le secret ?
Un brevet d’invention est un titre de propriété industrielle qui donne à son titulaire, un droit exclusif d’exploiter l’invention qui y est revendiquée. Il s’agit donc d’un droit d’interdire aux tiers d’exploiter l’invention sur un territoire d’un État donné pendant une durée limitée. En contrepartie, le titulaire doit s’acquitter du paiement des redevances annuelles. Une diffusion légale impliquant une description complète de l’invention constitue une autre contrepartie, destinée notamment à permettre aux tiers de la reproduire librement à la déchéance du brevet. Cette diffusion légale consiste en une publication par l’Office de la Propriété Industrielle concerné après un délai de 18 mois à compter de la date de dépôt de la demande ou de sa priorité la plus ancienne revendiquée.
En particulier, et dans la mesure où l’invention s’analyse comme la résolution d’un problème technique par des moyens techniques, la description qui en est donnée dans la demande de brevet doit permettre l’appréciation du ou des problèmes techniques traités et la compréhension de la solution apportée à ces problèmes.
Toutefois, dans certains cas la description de certaines caractéristiques qui ont trait à l’invention peuvent paraître peu propices à la divulgation. Il peut même être stratégiquement intéressant de conserver certaines caractéristiques au secret. On peut citer à titre d’exemple des problématiques de sécurité : est-il en effet souhaitable de divulguer en détail un mécanisme de sécurité tandis qu’une description complète de ce mécanisme tendrait à faciliter sa compréhension et ses faiblesses à des personnes mal intentionnées. De manière concurrentielle également, il est souvent préférable de maintenir confidentielles des informations permettant d’obtenir le meilleur résultat de l’invention.
Il y a donc une certaine forme d’ambivalence entre vouloir protéger une invention par un brevet et en conserver des composantes confidentielles.
Mais quelles sont les règles à respecter lors de la rédaction d’une demande de brevet et dans quels cas est-il possible de s’abstenir de la divulgation de certaines informations ?
La suffisance de description
Qu’il s’agisse du droit français, du droit européen des brevets, et mêmes des autres législations en matière de brevet d’invention, un de leurs points communs est celui de présenter comme condition de nullité un critère de suffisance de description. En d’autres termes, une invention doit être exposée dans la demande de brevet de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter, ceci à peine de nullité.
Il est généralement reconnu qu’un seul exemple de réalisation de l’invention décrit dans la demande de brevet peut être suffisant. Dans certains cas, notamment si les revendications couvrent un vaste domaine, la demande n’est, d’une façon générale, considérée comme conforme au critère de suffisance de description que si la description indique un certain nombre d’exemples ou décrit d’autres applications ou variantes qui s’étendent au domaine couvert par les revendications. C’est pour cette raison que nous recommandons généralement de décrire dans une demande de brevet les variantes envisagées.
En droit français ou européen, il est par ailleurs reconnu que l’existence d’un certain nombre de difficultés de réalisation non insurmontables ne suffit pas à rendre de prime abord une invention irréalisable. Ainsi, un mode de réalisation qui serait difficile à réaliser ou imparfait pourra être considéré comme suffisamment décrit.
Il est donc relativement aisé de protéger une invention sans nécessairement en décrire les caractéristiques permettant d’aboutir au meilleur résultat industriellement parlant, du moment que l’invention est suffisamment décrite pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter et que les éléments essentiels à la résolution du problème y soient décrits.
Le « meilleur » mode de réalisation
La question de savoir si la meilleure manière pour réaliser l’invention doit être décrite est tout à fait légitime. En effet, la règlementation américaine imposait jusqu’encore récemment, que la meilleure manière envisagée par l’inventeur d’exécuter l’invention soit décrite dans la demande de brevet (voir l’article 35 USC 112-1), ceci à peine de nullité du brevet.
Ce n’est qu’à partir de l’entrée en vigueur aux États-Unis depuis le 16 mars 2013, de l’« American Invents Act » (AIA), que cette absence de description de la meilleure manière envisagée par l’inventeur d’exécuter l’invention n’est plus une cause d’invalidité du brevet.
On notera toutefois que ce critère demeure comme une condition de brevetabilité pouvant être examinée par l’Office américain durant la procédure de délivrance pour les demandes de brevet déposées aujourd’hui. Dans la pratique, ce motif reste donc très exceptionnel, en particulier dans les domaines de la mécanique, de l’électronique et des softwares.
Le secret
Dès lors que les critères de validité du brevet sont respectés, il est du choix du déposant de maintenir au secret certaines caractéristiques de l’invention. Le secret consiste à ne pas diffuser au public des connaissances qui lui sont propres.
Le secret offre une forme de protection qui n’est pas un droit exclusif opposable à tous, comme peut l’être un brevet, mais qui peut être particulièrement adapté dans certaines situations en complément et dans le prolongement d’un brevet. Cette protection est sans limite temporelle tant que le secret existe.
Bien entendu, un tel secret n’a d’intérêt que si une étude de rétro-ingénierie ne permet pas d’en découvrir les caractéristiques. Dans ce cas il n’est pas possible d’empêcher les tiers de la reproduire.
C’est ainsi qu’une entreprise peut développer son « savoir-faire ». Le savoir-faire recouvre les tours de mains, procédés, formules de fabrication, secrets de fabrique, méthodes de gestion, innovations de toutes sortes, brevetables ou non, qui ne sont pas publics.
Même si la détention d’un savoir-faire ne s’acquiert pas par des formalités administratives au même titre que des brevets ou des marques, certaines pratiques juridiques permettent à leur titulaire, de se protéger. On comprend aisément que la composante essentielle du « savoir-faire » est son caractère secret. Plusieurs outils juridiques sont utiles à mettre en œuvre pour l’encadrer :
- la signature d’engagements de confidentialité (« Non Disclosure Agreement» (NDA)) par toute personne interne ou externe à l’entreprise pouvant y avoir accès ;
- la mise en place au sein de l’entreprise des mesures de sécurité physiques (limitation de l’accès physique aux informations) et électroniques (limitation de l’accès informatique aux données) ;
- la mise en place d’une charte de confidentialité.
Par ailleurs, le savoir-faire doit être identifié, formalisé, documenté et daté. Divers moyens de datation sont utilisés en pratique : le recours à un tiers de confiance ou un séquestre (huissier ou notaire) pour donner date certaine à un document ou un fichier, le cahier de laboratoire, sous forme matérielle ou électronique, l’enveloppe Soleau…
Le savoir-faire peut également être valorisé avec des tiers, par exemple lors de partenariats, lorsqu’il est très encadré, en faisant peser sur eux une stricte obligation de confidentialité.
Enfin, même si la loi ne sanctionne pas ces actes au titre de la contrefaçon pour un brevet, elle sanctionne les actes de détournement et/ou de divulgation du savoir-faire d’autrui, par exemple par l’action en concurrence déloyale ou parasitaire, et par certaines infractions pénales, telles que la violation du secret de fabrique ou la violation du secret professionnel.
Une limite importante de la protection par le secret est qu’elle n’empêche pas un tiers ayant développé indépendamment la même technologie de l’utiliser, voire d’obtenir un brevet qui sera opposable au porteur du secret. Les législations nationales prévoient généralement un mécanisme de régulation entre celui qui se prévaut d’un brevet sur une invention, déposé à une date donnée, et celui qui la détenait de façon secrète avant la date de dépôt. En pratique, le ce dernier bénéficie d’un droit qui lui est personnel, dit « possession personnelle antérieure », généralement non transmissible, de continuer à exploiter l’invention (voire dans certaines législations nationales de commencer à exploiter l’invention) nonobstant l’existence du brevet. Mais ce droit ne franchit pas les frontières nationales : la possession personnelle antérieure n’est opposable que dans le pays où elle peut être localisée. Il s’ensuit que le choix du secret fait courir le risque, si le secret porte sur des caractéristiques brevetables, de se voir interdire une exploitation hors des frontières.
En conclusion, il apparait tout à fait possible de déposer une demande de brevet tout en maintenant certaines informations confidentielles, sous certaines conditions.
Les principales contraintes qui impactent lors de la rédaction de la demande de brevet sont de décrire suffisamment l’invention de sorte qu’elle puisse être reproduite par un homme du métier, et de décrire idéalement plusieurs alternatives de sorte que si les revendications devaient être limitées plus durant un examen pour répondre aux critères de brevetabilité, la portée de la protection conférée par les revendications puisse être adaptée à la réalité industrielle du titulaire des droits et notamment, aux produits qui doivent être lancés sur le marché.
Il reste toutefois important de s’interroger sur les outils juridiques à disposition pour assurer une certaine forme de protection à ces informations qui peuvent donner un avantage concurrentiel certain sur un marché donné.
N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez plus d’informations ou de conseils, et sommes à votre disposition pour vous accompagner dans votre stratégie globale de protection de votre propriété industrielle.
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